C’était à Charleroi en Belgique, il y a de cela deux ans. J’étais en congés et j’en profitais pour rendre visite à quelques amis dans certaines villes d’Europe. J’étais donc chez mon ami que je vais appeler Martin (c’est sûr, ce n’est pas du tout son prénom) et nous discutions des difficultés à investir en Afrique. Il m’expliqua combien il n’était pas facile pour un africain installé en Europe d’investir dans son pays d’origine. Il m’évoqua alors toutes sortes de difficultés (les procédures qui sont compliquées, la corruption généralisée, la difficulté à trouver des personnes de confiance, le peu d’intérêt de l’Etat dans des projets « porteurs », etc.)
Il me narra d’abord l’expérience d’une connaissance à lui qui avait lancé au début des années 2000 le plus grand cybercafé de Douala (je n’étais pas là et je ne puis donc confirmer que c’était effectivement le cas). Près d’une vingtaine de millions de CFA avaient été investis et le projet avait bien démarré. Il fournissait même la connexion Internet à quelques clients privés grâce à un VSAT de bonne capacité. Et puis, les choses ont commencé « à devenir bizarres », et le projet est finalement tombé à l’eau.
Lui-même s’était lancé dans la vente de véhicules qu’il avait lui aussi confié à un ami. Il en achetait en Belgique et les envoyait au Cameroun où quelqu’un prenait le relais. Mais une fois au pays, trop de problèmes sont intervenus tant et si bien que la dernière voiture qu’il a envoyée avait été abandonnée au port de Douala.
Ses démonstrations ressemblaient beaucoup à celles que j’avais écoutées de la part de beaucoup de ceux qui se font appeler aujourd’hui avec une immense fierté « Diaspora » et qui semblaient bien déçus de ne pas pouvoir apporter une contribution stratégique au niveau économique dans leurs pays d’origine.
Quand donc mon ami Martin eut finit de me raconter ces mésaventures, je lui demandais quelle expertise les personnes à qui on avait confié les projets possédaient…quelques minutes d’hésitation…un essai de justification…et puis silence.
Je lui ai alors fais remarqué que la plupart des projets que lancent la « Diaspora », sont confiés à la famille et à des amis; parfois des ramassis d’incompétence, d’inexpérience et de non professionnalisme. Avec regrets et honnêteté, il m’a alors raconté la vie de certains de ces frères et amis qui roulent cabosse, se vantent d’avoir leur frère en Occident et se pavanent en DG d’entreprises qui n’auront que quelques mois ou années d’existence …
Les raisons de ce suicide financier et de ce masochisme entrepreneurial résident dans deux choses en réalité :
- l’ignorance des principes élémentaires de entrepreneuriat. Il est bon de ne pas s’improviser investisseur, mais de prendre le temps pour s’informer, trouver des solutions et des alternatives. J’insiste beaucoup sur la question de prendre du temps de chercher, de comprendre, de trouver des réponses et des alternatives. J’ai souvent eu des coups de fils d’amis m’appelant de l’Etranger pour me demander « dis moi, à tel endroit, on peut investir dans quel domaine et gagner de l’argent » et je sais que beaucoup de petits frères et d’amis sont devenus DG en jetant une réponse complètement inconsidérée à cette question. Je vous le garantit, petits frères et amis sont souvent loin de connaître quoique soit à la réalité des questions liés à l’investissement. La relativité de leurs intuitions est capables de vous coûter cher. Sortez de la légèreté ! Allez voir des experts !
- La facilité de faire confiance à des gens qu’on connait…J’ai rencontré quelqu’un qui me demandait : « Mais comment trouver quelqu’un à qui faire confiance ? ». Bien malin qui répondra à cette question avec un coup de bâton magique. Mais il faut dire que la confiance en famille ou entre amis n’est pas exactement du même registre que la confiance en affaires. Et l’amalgame dans les deux cas est souvent préjudiciable. En réalité, il existe des structures et des mécanismes juridiques que l’on peut utiliser pour protéger ses intérêts tout en recrutant des personnes qualifiées. Et de même, il existe des mécanismes alternatifs. Notamment des structures qui peuvent accompagner les investissements et effectuer une sorte de sous-traitance. Il existe même la possibilité de mobiliser des ressources humaines étrangères qualifiées. Le fait est qu’il y a des moyens d’avancer sur des bases de confiance et il ne faut pas s’arrêter sans les trouver. Peut-être d’ailleurs le problème de fond n’est pas de trouver des personnes à qui faire confiance…mais le refus de se mettre dans une démarche qui est exigeante pour soi même..le refus qu’il y ait quelqu’un qui connaisse ce qu’on gagne alors qu’il n’est pas un proche…
Il y a donc une manière de faire différente qui peut permettre que la diaspora devienne un investisseur. Il faut qu’elle accepte de se positionner sur ses intérêts (ce qu’elle gagne) et remette entre des mains qualifiées les projets ou les financements.
Et dire que je connais plein de jeunes qualifiées et honnêtes qui manquent de boulot…ou plein de projets révolutionnaires qui tirent le diable par la queue !
17 Comments
Le gros problème de la diaspora: c’est de vouloir rester à l’étranger tout en investissant dans son pays d’origine! problème parce que bien souvent les projets vers lesquels “la diaspora” s’oriente sont des projets qui nécessitent une présence, une disponibilité de l’entrepreneur…dans ce type de projet la disponibilité est le facteur clé de succès le plus important! Le secteur des transports est porteur dans votre pays d’origine? vous envisagez de vous lancer dans les taxis? vous oubliez qu’il faut être capable de contrôler le travail quotidien de vos chauffeurs, de veiller sur l’état de vos véhicules…vous vous contentez de les confier à votre frère? à votre oncle? à votre ami d’enfance qui n’a pas grand chose à faire au quartier? qui ignore tout de votre difficulté à réunir le capital de départ? échec assuré! La diaspora veut investir à distance dans des projets qui nécessitent souvent d’être présent à défaut de trouver une personne de confiance!
second constat: la diaspora n’a pas une imagination débordante! dès qu’une activité semble en vogue on s’y engouffre tous sans savoir les tenants et les aboutissants et après on s’étonne de faire faillite. Tout le monde ouvre un “maquis géant”? ben je vais faire pareil! ah il parait que les SPA sont à la page? et si j’en ouvrais un?
troisième constat: la diaspora n’investit pas pour construire un vrai business mais plutot pour arrondir ses fins de mois ou trouver un “petit job” aux chomeurs de la famille qui ne font que quémander des “western union à longueur de journée”. Avant de se lancer il faut avoir un but réaliste, il faut trouver un secteur dans lequel s’insérer, un créneau porteur, il faut avoir une vrai motivation et beaucoup de persévérance. L’afrique ce n’est pas de tout repos mais c’est chez nous! la corruption? le racket? ça finit malheureusement par faire partie de nos moeurs, on nous l’impose mais si déjà avant de commencer on le voit comme un frein alors on ne fera jamais rien! les faux coups? les escroqueries? ça peut arriver mais c’est à nous de prendre notre projet au sérieux et de tout mettre en oeuvre pour éviter de se faire avoir. Le succès n’est jamais garanti à 100% mais celui qui n’essaie pas à déjà échouer! si nous n’investissons pas qui le fera à notre place?
4ème constat: la diaspora croit souvent à tort qu’elle vient révolutionner les choses en montant une affaire dans son pays d’origine! on croit souvent à tort que l’on sait tout parce qu’on s’est frotté “aux occidentaux” et que les autres, les “locaux” ils ne savent rien! alors on les prend de haut, on se fait des ennemis au lieu de se faire des partenaires, on crée des envieux au lieu d’en faire des ambitieux…et puis ça ne marche pas! un seul conseil: entreprenez! osez! mais à distance? préférez des domaines qui ne requièrent pas trop d’implication personnelle au moins pour débuter.
Maelys de Young Entrepreneur Space
Je me suis souvent demandé si finalement le noeud du problème ne se trouvait pas effectivement là…Est-il possible d’investir dans son pays d’origine tout en restant à l’Etrganger ? Est-il possible d’essayer de se faire du bénéfice sans soi-même avoir les mains dans le cambouis ? Est-il possible de développer des projets stratégiques tout en étant absent de ces projets ? La reflexion mérite d’être enrichie.
il es bien possible pour la diaspora d’investir , il s’agit de trouver des créneaux qui coupler avec l’éloignement. ils peuvent bien facilement se lancer dans l’immobilier. c’est facile à gerer si elle inscrit un temps soit peu dans une démarche rigoureuse qui demande dans le cas d’espèce de confier la gestion de son parc immobilier à un agent immobilier assermenté. ceci est d’un.
De deux , le marché financier camerounais et africain est nouveau .Et, n’exige pas pour le moment des grosses sommes d’argent .elle peut s’y engouffrer en prenant des parts dans des différentes entreprises qui poussent de plus en plus au pays.
ces deux exemples semblent exiger de prime à abord d’énormes sommes d’argent qu’une bonne partie de la diaspora n’ a pas toujours.
Que faire alors ? peut être développer des micro-crédits à des taux réduits assortis des clauses contraignantes aux membres de la famille et autres amis? le sujet est préoccupant .
Ceci est pertinent, mais appelle des reflexions plus profondes. Notamment sur la confiance et sur les mécanismes de confiance. A mon sens, il y’a des actions à mettre en place au niveau des systèmes financiers et des structures d’encadrement. La reflexion continue.
Salut Paul Armand,
Très beau blog. Les articles sont clairs et bien rédigés et reprennent en général des idées que tu as souvent développées et que je partage. Bravo !
L’article sur les investissements de la diaspora et surtout l’un des commentaires qui a suivi est aussi très pertinent. Je pense qu’au delà de ces remarques il est important de comprendre qu’entreprendre ce n’est pas un job ou un hobby comme c’est souvent perçu. A côté des ressources financières, il faut des ressources physiques, psychiques et un sens de l’adaptation et de la créativité hors du commun pour évoluer dans des environnements complexes et non/peu/mal régulés comme ceux d’Afrique.
Merci Thierry
Bonjour Paul Armand,
Je rejoins Thierry K, non seulement le blog est beau mais les articles sont intéressants et très clairs. Je reviendrais certainement.
Merci beaucoup pour ton passage Setty. Toutes tes visites et tes commentaires seront attendus avec beaucoup d’engouement et d’impatience.
Salutations
Bon article
Merci pour ta visite Marcel. J’espère te compter parmi les fidèles de ce blog.
Bonjour Paul constant,
J’aimerais bien savoir quel est le titre de ton boulot dans l’accompagnement que tu fais auprès des investisseurs?
Est-tu camerounais? Vis-tu au cameroun ou à l’étarnger?
Vivant à l’étranger, que peux-tu conseiller à un camerounais qui souhaite se lancer dans un business de restaurant de 100 à 150 couverts au cameroun?
As-tu des annonces de vente de restaurants au cameroun?
Quelles opportunités d’affaires peux-tu conseiller à un camerounais qui vit à l’étranger sans que ce dernier vive avec une angoisse d’échec de son business vu qu’il ne sera pas forcément physiquement sur place pour son business?
Merci de bien vouloir me répondre.
Bonjour Marie B,
Mon boulot actuel n’a rien à avoir avec ce blog. Je ne l’ai jamais évoqué ici et je pense que tu permettras que je continue de faire la distance entre mes mon travail et mon engagement au travers de ce blog.
Quant à l’accompagnement ou au coaching qu’il m’arrive de faire, si je suis sollicité et que je suis disponible, en général je donne ce que je peux pour aider à construire des belles initiatives et des exemples réussis.
Je ne vis pas au Cameroun. Le blog puise dans mes expériences à travers le monde et Dieu merci, mon parcours professionnel m’en a fait connaitre de bien variées à travers différents endroits du globe. Mais le blog puise aussi dans les expériences des autres. Bref, il n’est pas lié à l’endroit où je vis.
Je reviens sur le projet restaurant dans le prochain commentaire.
Paul Armand
Marie B,
En parlant d’un projet restaurant, tu touches un des types de projets auxquels je suis le plus sensible. Pour ne prendre que le cas du Cameroun que tu évoques, j’ai en effet pu travailler sur ce type de projets avec des personnes nombreuses et dans 90% des cas, les projets ont été des succès. J’espère d’ailleurs partager sur ce blog une des best practise que j’ai connue…une dame qui a lancé son petit restaurant et qui grâce à des méthodes simples, mais rigoureuses, à fini avec un hôtel (un petit hôtel quand même) qu’elle a construit elle-même, avec à la base les fruits de son restaurant. Suivant de très près ce projet, il m’a marqué de manière singulière.
Ce que je peux conseiller à un Camerounais qui veut lancer un restaurant de 100 à 150 couverts, c’est d’abord de clarifier ce qu’il veut faire : un restaurant ou un service traiteur ? Ce n’est pas la même chose et ce n’est pas la même démarche. Les deux ont un potentiel au Cameroun, mais ils se gèrent de manière différente…surtout s’ils sont promus par des Camerounais de l’Extérieur.
Tu peux bien évidemment inclure les deux…Mais je te conseille de bien y réfléchir. La gestion à distance d’un restaurant te sera beaucoup plus compliquée que celle d’un traiteur.
Dans les deux cas, les grandes étapes que tu devras concrètement parcourir sont :
La mise en place : Pour un restaurant, cela implique de trouver un local (ce qui n’est pas forcément le cas pour un traiteur). Le problème ne sera pas de trouver un restaurant que l’on vend, mais de trouver un emplacement où les clients peuvent facilement aller (et cette dernière question dépend elle-même tu type de clients que tu veux viser. En fonction du type de client, la mise en place impliquera aussi un standing d’investissement….
La promotion /marketing : que ce soit un traiteur ou un restaurant, après la mise en place, il faut faire connaitre le business. Pour un restaurant, plusieurs facteurs vont entrer en jeu pour attirer les clients (le rapport clientèle/standing, les prix, la qualité des repas, la qualité du service, etc.). Pour un traitement, je pense que les deux fondamentaux seront la qualité de ton matériel et de ton service, c’est à dire des repas et les prix). Dès que cela est clair et que l’info commence à circuler, tu devrais avoir une meilleure idée de ton positionnement sur le marché.
La gestion et le suivi de l’activité : Une fois que c’est lancé, il faut caler les aspects de suivi. L’une des bonnes pistes est de commencer par caler tout ce qui est gestion et contrôle. Un système de gestion bien organisé (pas trop lourd, mais assez contraignant) sera une bonne approche couplé à un système de contrôle très régulier
Il reste enfin une dernière équation à régler et c’est probablement la plus déterminante : Les hommes qui vont gérer l’affaire. Pour le restaurant, cet aspect des choses est fondamental à tous les niveaux (le gérant, les cuisiniers, les serveurs, la sécurité, etc.). Pour un service traiteur, il y’a une chaine de dépendance qui est moins importante. Pour le restaurant, une des premières pistes est de recruter des professionnels par des moyens encadrés par la loi. Le FNE par exemple et ensuite avec un garde fou juridique, tu peux organiser le contrôle par un proche ou par un autre responsable juridique.
Voilà quelques pistes très théoriques. Mais on peut poursuivre la reflexion dans une dimension plus pratique s’il y a plus d’infos.
Salutations
Paul Armand
Marie B,
Pour la dernière question, les opportunités d’affaires à conseiller à un Camerounais vivant à l’Extérieur sans l’angoisse de l’échec. Ma réponse va être plate : Il n’y en a pas.
Il y aura toujours des angoisses d’échec parce que quand on est loin, il y a toujours des choses qui échappent.
Maintenant, les gens se débrouillent comme ils peuvent soit à travers des business informels, soit en mettant les moyens pour faire des choses plus structurées.
Pour les business informels, difficile de me prononcer. Pour des affaires mieux organisées, il faut avoir des relais de confiance et pour cela, il faut mettre les moyens et choisir les gens avec un minimum de rigueur.
Ensuite, selon la compétence de ces personnes ou selon ses propres désirs, on peut tenter d’investir. Un minimum de présence dans le pays est de toutes les façons prudent.
Les secteurs qui semblent les moins à risque quand on n’est pas sur place dans le cas du Cameroun me semblent être
– L’immobilier
– L’ éducation (écoles, collèges)
– Le commerce (brocante, électronique, informatique, vêtement)
Mais de toutes les façons, tout ceci est absolument relatif et il faut certainement avoir quelqu’un qui s’implique.
Une piste qui me semble bonne à creuser est d’investir dans des entreprises en création ou en développement. Il me semble que le FNE dispose d’un programme pour accompagner cela. Je ne sais pas s’il existe des projets privés allant dans ce sens. Ce serait alors l’investissement le plus sécurisé sur des véritables projets d’entreprises.
Paul Armand
excellente problématique, dont je discute régulièrement. Merci chers amis pour vos lumières.
Merci Florian d’être passé par ici. Encore une fois, félicitations pour ton excellent boulot.
Il est évident que la plupart des personnes vivant en occident et voulant investir vers l’Afrique pense que seul le Capital suffit pour se lancer. Faux! Il faut en plus de cela confier votre affaire à des personnes honnêtes et qualifiées comme mentionné dans l’article; mais surtout une implication personnelle de la part du potentiel investisseur. Je ne peux pas par exemple débourser 50 million pour un business sans jamais me déplacer vers le lieu pour vérifier si c’est effectivement fonctionnel et si cet investissement s’est faite comme souhaité……