Cet article suit le premier rédigé sur le même sujet. Je voudrais m’attarder ici sur la problématique du début de carrière professionnelle et sur les mouvements qui caractérisent ce cheminement.
La dernière fois, je signalais que la première représentation que l’enfant a de la vie professionnelle est une représentation symbolique de héros. Plus spécifiquement, il serait adapté de parler d’un mode onirique de projection du « bon métier », de la « bonne profession » sous le postulat de la gloire, de l’honneur, de la reconnaissance. On retrouvera probablement les allégories du phallus que postule les théories freudiennes. Gloire, honneur, reconnaissance sont cependant des réalités symboliques, sans ancrage concret dans la conscience de l’enfant. En général, n’importe quel métier ou quelle profession peut se mettre sous cette représentation à condition que soient associées les représentations symbolique de gloire, honneur, reconnaissance, bref de héros.A ce stade donc, le métier ou la profession ne sont pas représentés commun « soi », mais comme étant un « quelque chose ». Ils sont des objets de héroïsme avec lequel il développe une relation, qui prend place dans sa vie…comme le font un peu les jouets. Si l’enfant se reconnaît en eux, ils sont des choses externes auxquels on s’attache comme on s’attache à un jouet par exemple. Nous rappelons qu’on observe assez aisément cela auprès des enfants de CM2 et quelquefois de classe de sixième.
C’est le contact social et son élargissement qui transforment la relation de l’enfant à une profession. Plus ce contact se maturise, plus la relation à la profession se personnalise. La première conséquence est que cette relation se spécifie. Tous les métiers peuvent peut-être être bons, intéressants, mais le héros devient plus ciblé. De la sixième en troisième en général, l’enfant développe une relation plus personnalisée avec les symboles qui prennent forme. Il commence à avoir un métier spécifique, un rêve professionnel personnel.
Le contexte scolaire camerounais que l’on retrouve dans plusieurs pays africain construit une nouvelle phase entre la classe de troisième et de Terminale en général. Sur le métier ou la profession, le jeune se projette désormais lui-même. Il passe donc de l’objet-héros au sujet-héros. Il devient lui, le métier ou la profession qu’il souhaite faire. Il devient une sorte d’incarnation de cette profession dans une dimension qui reste essentiellement de l’ordre de la représentation personnelle. L’influence sociale ne se limite plus seulement à la valeur sociale (caractère héroïque) du métier ou de la profession. L’influence sociale détermine également fondamentalement la représentation de la qualité du métier ou de la profession. On quitte du « bon, mauvais » à « l’expert, professionnel ». En fait, il faut surtout parler du capable ». Si c’est un médecin, ce ne sera plus simplement un médecin qui sauve des vies (l’objet-héros), ce sera le médecin compétent qui s’impose (le sujet-héros).
Ainsi donc quand le jeune arrive à l’université, il a plus ou moins cette idée d’un professionnel qui vient prendre son passeport pour arriver. Et parler de passeport est même une manière douce d’avancer les choses. Il ne vient pas simplement chercher un passeport…il passe une case obligatoire. Le professionnel existe déjà…c’est la société et les règles sociales qu’il doit suivre pour se réveler aux autres. Après quelques cours, beaucoup verront le professionnel prêt quand une démarche pédagogique professionnelle n’aide pas à réaliser la longueur du chemin à parcourir.
C’est au bout des premiers mois de cours universitaire que le sujet-héros commence à confronter une réalité nouvelle. La subsistance. Il ne s’agit pas de besoins matériels ou financiers qu’ont d’ailleurs la plupart des camerounais. Il s’agit de l’affirmation au sujet-héros qu’il n’a aucune autonomie. Pas d’autonomie dans les résultats académiques, dans les petites affaires de la vie et bientôt pas d’autonomie pour déterminer son avenir. Bref, le sujet-héros risque de ne pas exister. La subsistance n’existe pas forcément comme angoisse. Cependant, elle se révèle comme une priorité sociale qui appelle sur elle seule l’investissement psychologique du jeune. Les choix professionnels ne seront pas guidés forcément par le sujet-héros et celui-ci sera relégué dans une zone d’inconscience.
Je postule donc que c’est sur le fondement de la subsistance que se fait le premier boulot. C’est sous son règne que le jeune entre pour la première fois dans son premier emploi. Ce qui caractérise l’expression professionnelle de la subsistance, c’est justement le relèguement au second rang du sujet-héros. Le jeune n’est plus un héros, mais une banalité sociale qui a besoin d’exister, d’être autonome. Il est donc prêt à beaucoup, et quelquefois à tout. Et c’est ici que devrait intervenir l’action des employeurs (j y reviendrais une autre fois).
Dans l’univers de la subsistance, le jeune employé s’emploie avant tout à répondre aux besoins de subsistance. Celui d’exister par un emploi, celui d’avoir un antécédent professionnel, celui d’interargir professionnellement…Et dans cette dynamique de faire bien pour que les besoins de subsistance soient satisfait, le sujet-héros petit à petit se réveille et porte sur lui-même un regard différent. Il n’est plus alors le sujet-héros de l’élève de Terminale, gonflé à bloc et « capable » de changer le monde. Il devient le sujet-réel.
Le sujet-réel à la différent de la subsistance est un sujet qui a désormais conscience de l’écart entre le sujet-héros initial et sa situation professionnelle actuelle. Il réagira de plusieurs façons :
- soit il se met à la recherche du sujet-héros passé : dans ce cas, il ne cherche qu’une occasion de partir et de réaliser ses rêves. En général, cet employé démissionne au bout d’un certain temps.
- soit il se met à la recherche d’un nouveau sujet-héros né de l’expérience de subsistance : il peut soit chercher à exprimer ce sujet-héros dans l’entreprise dans une démarche qui va déboucher sur gloire, honneur, reconnaissance (les principes héroïques). Il essaiera d’apporter des idées neuves, etc. Dans bien des cas, il réalise souvent que ca ne marche pas et tue le sujet-héros pour faire vivre le sujet-réel. Dans d’autres cas, il démissionne pour chercher un cadre où le nouveau sujet-héros peut s’exprimer.
- soit il tue le sujet-héros et s’arrête au sujet-réel actuel. Ici, il accepte sa situation à contre-coeur et effectue une sorte de service minimum.
Il faut quand même dire qu’il est possible que de l’une de ces positions, on passe à l’autre sous l’influence soit de l’entourage, soit de l’entreprise, soit de chocs sociaux ou personnels.
Ce que j’ai observé, c’est que c’est dans ce cheminement que se trouve souvent la crème à l’état pur des meilleures compétences. Du diamant brut à l’état pur. Si l’organisation des grandes entreprises est mieux armée pour capitaliser cela, les petites et moyennes entreprises, les associations et ONG locales ont encore énormément de mal à transformer ce cheminement en arguments de développement. Des pistes existent pourtant.